Les entraves du droit public à la production foncière

Une idée fausse est un fait exact. Dans le n°4 de La Revue foncière un article montrait les incertitudes sur le concept même d’étalement urbain, et donc a fortiori sur sa mesure. Un autre analysait la place de l’habitat et des activités économiques dans les changements d’utilisation des terres agricoles. Il montrait que ceux-ci se traduisent d’abord par de l’enfrichement débouchant sur des landes et taillis, puis par des espaces utilisés pour des activités économiques et les transports, et seulement en troisième lieu pour les besoins de l’habitat.

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Mais ces vérités, que l’on pouvait déjà trouver énoncées ça et là, n’ont pas empêché toute une effervescence autour de la lutte contre l’étalement urbain destinée à bloquer la « consommation d’espace ». La montée de ces inquiétudes, et le bruit qui a été fait autour, mériterait une étude en soi. On peut cependant en noter quelques éléments : par exemple une étude de la FNAU (Fédération nationale des agences d’urbanisme) de 1994 montrait que l’espace dévolu aux urbanisations futures dans un certain nombre de schémas directeurs approuvés avait été utilisé de façon beaucoup moins dense que prévue, et donc réclamant plus d’espace à population donnée. Et le développement des secteurs proches des agglomérations, dénommés d’habitude périurbains, était interprété comme fuite de la ville, avec la menace d’un exode urbain, ce qui compromettrait la vitalité des centres villes, et par la même l’ensemble du réseau urbain français. Par ailleurs, la présentation régulière des chiffres de Teruti, service statistique dépendant du ministère de l’Agriculture 1, visant une analyse de l’occupation des sols tous usages confondus, prenait comme unité de mesure du changement d’utilisation des sols le « département consommé ». L’image d’un « département consommé tous les 10 ans » était forte, et a marqué les esprits. Le Grenelle de l’Environnement a mis en avant tout ce qui était protection du milieu naturel, et donc directement diabolisé tout ce qui pouvait lui porter atteinte. Enfin on vit revivre ça et là le thème de l’auto-alimentation, et de la protection des ressources alimentaires de base. Que la France soit largement exportatrice en céréales ne rentrait pas en ligne de compte. Les derniers tickets de rationnement, disparus en 1950, cinq ans après la fin des hostilités –, seraient-ils restés gravés dans l’inconscient collectif ?

Cet ensemble d’idées reçues, vraies ou fausses, de craintes et de fantasmes ont débouché sur une floraison législative d’ampleur inédite. Le premier texte le plus souvent cité, c’est bien sûr la loi SRU 2000-1203 du 13 décembre 2000, et présentée d’habitude comme outil de lutte contre l’étalement urbain, du moins en se référant à ses notes de présentation. Car les rédacteurs de la loi avaient refusé d’y insérer l’expression « étalement urbain » pour la raison que personne n’était capable d’en proposer une définition utilisable dans un texte de nature juridique.

En périphérie des agglomérations, la fonction de contenir l’étalement urbain était dévolue au Scot (Schémas de cohérence territoriale) et, pour obliger les collectivités territoriales à s’en doter, la loi prévoyait qu’en l’absence de Scot, toute extension des espaces urbanisables était interdite dans un rayon de 15 kilomètres. Les effets furent immédiats.

Elle précipita la prescription de Scot, souvent dit Scot ruraux, incluant la partie hors Scot de la zone des 15 kilomètres lorsque les délimitations de Scot étaient trop courtes. Et cela accéléra la construction dans les communes au delà des 16 kilomètres et plus. Cette disposition fut vidée de sa substance par une loi du 3 juillet 2003, dite loi Urbanisme et habitat, qui pourtant n’osa pas supprimer le concept de base. D’un autre côté la suppression des PAZ remplacés par des PLU, pour des raisons de pureté juridique, bloqua le jeu des mécanismes d’urbanisme opérationnel qui s’étaient mis en place au fil des ans. Elle permit aux propriétaires de demander le prix fort pour leur terrain, sans prendre en compte les coûts d’aménagement à venir .

Par ailleurs une « autorité environnementale » – article R 121-15 du 29 mai 2005, avec trois autres versions depuis, la dernière étant de février 2013 –, veille à ce que les documents d’urbanisme prennent en compte ces options nationales. Elle sait sévir contre toute extension organisée – par exemple un simple lotissement dans un centre bourg – les logements allant alors se localiser dans les différents hameaux du village. Le « pastillage » – des morceaux de petites zones U dans tous les hameaux de la commune – qui en résulte n’est qu’une réponse à des autorités de tutelle plus promptes à empêcher de construire qu’à inciter à la réalisation d’aménagement organisé. Car le discours des pouvoirs publics, exécutoire quand il s’agit d’empêcher, est incantatoire quand il s’agit de faire 2. Ainsi, dans le même exposé la communauté urbaine de Lyon se félicita d’avoir réduit les zones constructibles lors de la transformation de son POS en PLU, et déplora l’explosion des constructions dans les monts du Lyonnais, sans établir le moindre lien entre ces deux phénomènes.

Les résultats furent extrêmement nets, comme l’indiquent les tableaux 1 et 2 présentés dans la géographie urbaine de l’Insee version 1999 3.

Autrement dit, le rebond du rythme de construction après 1999, et donc après le vote de la loi SRU, a surtout profité aux territoires hors pôles urbains, et d’abord au secteur périurbain et rural. Et comme les logements y sont plus grands, cet effet se trouve encore accentué si l’on considère l’implantation de la population complémentaire.

Autrement dit, à géographie constante, celle de 1999, la population des pôles urbains, qui pesaient en 1999 59,4 % de la population métropolitaine, augmente moins vite que la moyenne nationale, et nettement moins vite que le périurbain (cf. la figure 2 de l’article de Jean Cavailhès précité). Ce phénomène – de l’étalement urbain à l’émiettement urbain –, avait déjà été repéré 4. Mais ces résultats semblent dans le droit fil du texte même de la loi SRU qui parlait, dans son article 1 5, de développement urbain maîtrisé, et de développement rural. Ses présentations actuelles devraient désormais plus se référer aux résultats connus aujourd’hui qu’aux gloses multiples publiées lors de sa préparation.

La loi Urbanisme et habitat, du 2 juillet 2003, et qui comportait 47 modifications différentes au code de l’urbanisme, n’eut pas d’influence directe sur le thème de cet article. Mais son titre II sur les dispositions relatives à la sécurité des constructions, et en particulier celles concernant les ascenseurs, eut des conséquences directes sur le coût de la construction des immeubles collectifs, pour l’essentiel situés en zone dense. Ce texte, bien sûr pour d’excellentes raisons, est venu de fait pénaliser sur le plan économique les densifications prônées par ailleurs par tous les discours sur la ville dense, voire compacte.

Il fallut attendre la loi du 25 mars 2009, de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, dite parfois loi Boutin, et ne comportant cette fois que 40 modifications du code de l’urbanisme sur ses 128 articles, pour voir s’introduire le thème de l’étalement urbain. C’est curieusement le chapitre IV, pourtant intitulé « mesures en faveur du développement d’une offre nouvelle de logements », qui comporte un article 28 modifiant le L 302-1 du code de la construction et de l’habitation, et précisant que « les PLH (Programmes locaux de l’habitat) doivent prendre en compte la nécessité de lutter contre l’étalement urbain ». Autrement dit, le PLH, destiné à impulser la politique du logement, s’autocensure en important un concept toujours sans définition, l’étalement urbain, et ne figurant pas alors dans le code de l’urbanisme.

Dans le même temps, les pouvoirs publics décidèrent de lutter contre la crise économique en relançant tout azimut la construction. Les montants liés au PTZ (Prêt à taux zéro), et d’autres mécanismes tels que le pass foncier aidant, la construction, notamment de maisons, un peu partout, atteignirent des sommets. On a bien l’urbanisme de nos modes de financement de la construction.

Mais ce sont bien sûr les lois dite Grenelle 1 et Grenelle 2 qui vont avoir un apport décisif sur tous ces thèmes.

Le première de ces lois – loi 2009-967 du 3 août 2009 relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l’environnement – comportait seulement 57 articles, essentiellement indicatifs, sur ce que l’État doit faire, avec quand même 2 modifications du code de l’urbanisme. Mais elle énonça la nécessité de définir des « indicateurs de la consommation d’espaces », afin d’en réduire le rythme, et de lutter contre l’étalement urbain, toujours bien sûr sans définition. Elle prescrivit aussi de fortes améliorations de la qualité énergétique des logements, ce qui conduit bien entendu à en augmenter le coût, et comme toujours proportionnellement plus pour les logements collectifs que pour les maisons.

Mais c’est bien sûr à la loi dite Grenelle II : Loi 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, qu’il revenait de mettre en place les mécanismes opérationnels correspondants. Sur ses 257 articles environ 80 concernaient le code de l’urbanisme – environ 700 autres étant dévolus à d’autres codes.

L’article L 121-1, qui fixe les objectifs généraux fixés aux documents d’urbanisme, continue à parler de développement urbain maîtrisé et de développement rural. Mais les articles concernant directement les Scot (Schéma de cohérence et d’organisation du territoire) et les PLU (Plans locaux d’urbanisme) rentrent dans le vif du sujet.

Désormais le rapport de présentation des Scot, d’après le L 122-1-2, comporte une analyse de la consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers au cours des 10 années précédant l’approbation du document. Il justifie les objectifs chiffrés de limitation de cette consommation de l’espace et de lutte contre l’étalement urbain. Il peut prescrire des études de densification sur des secteurs déjà urbanisés. Il faut aller jusqu’au L 122-1-7 pour voir aborder le thème de l’offre complémentaire en logement.

Les exigences sont les mêmes pour les PLU : le projet d’aménagement et de développement durable qui lui est lié fixe des « objectifs de modération de la consommation d’espace et de limitation de l’étalement urbain ». Et le PLU présente « une analyse de la consommation d’espaces naturels ou forestiers », et « justifie son objectif au regard des rythmes de consommation d’espace et de lutte contre l’étalement urbain ». Il analyse les capacités de densification et de mutation de tous les espaces bâtis.

Bien entendu, les mots utilisés ne sont toujours pas définis : ni la consommation d’espace, ni l’étalement urbain, et d’ailleurs il n’existe pas de base de données départementales sur ce sujet. La seule qui publie des chiffres, la base Teruti, affiche des intervalles de confiance de 40 % pour la mesure des terrains bâtis à l’échelle départementale… L’évocation de la densification ne rend pas les choses plus claires. S’agit-il de densification en termes de mètres carrés bâtis, ou de densification en ce qui concerne les personnes ?

Alors il est revenu à une loi pilotée par le ministère de l’Agriculture de s’en saisir. Ce fut fait dans la loi 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Son article 51-2° crée un article L 112-1 dans le code rural et de la pêche maritime ainsi rédigé : « L’Observatoire national de la consommation d’espaces agricoles (ONCEA), établit des outils pertinents pour mesurer le changement de destination des espaces agricoles et homologue des indicateurs d’évolution des indicateurs d’évolution ». Et le L 112-1-1 précisa que, « dans chaque département il est créé une commission départementale de la consommation des espaces agricoles ». Elle est présidée par le préfet et émet des avis d’opportunité sur certaines procédures concernant les autorisations d’utilisation de l’espace.

On peut déduire de cet état de fait que le ministère en charge de l’urbanisme a délégué à celui en charge de l’agriculture le soin de donner une définition au concept de consommation d’espace, lui donnant ainsi une connotation sectorielle. Celui-ci a été prudent en se limitant aux changements de destination des espaces agricoles, et sans chercher à définir ce qu’est la consommation d’espace au singulier. Il fit d’ailleurs disparaître l’expression « consommation d’espaces » dans la loi 2014- 1170 du 13 octobre 2014, en confiant à l’IGN le soin de définir les outils pertinents ad hoc, au niveau national comme au niveau local. Mais, logiquement, il ne s’intéressa pas au concept d’étalement urbain, toujours sans définition. Et l’article d’après modifia l’article L 111-1-2 du code de l’urbanisme – rédigé à l’occasion de la loi Molle en 2009, – il avait quand même plus d’un an –, sur le point très délicat des constructions à finalité agricole en zone naturelle. Trois autres modifications sont d’ailleurs intervenues depuis selon la dynamique, si l’on ose dire, explicitée dans un récent article 6. Clairement il existe plusieurs points de vue sur ce thème, et le législateur peine à trouver un point d’équilibre.

La loi 2011-525 du 17 mai 2011, dite de « simplification et d’amélioration de la qualité du droit », apporta, dans l’indifférence générale, un changement important. L’article L 121- 1 du code de l’urbanisme fut remanié, et la mention de « développement de l’espace rural », introduite lors de la loi SRU, disparut à cette occasion du corps de ce texte. Le texte ne concédait au secteur rural que « la revitalisation des centres ruraux » apparemment supposés tous en perdition. Cette position est en contradiction avec le code rural. En effet l’article L 111-1 de ce code, dans la rédaction issue de la loi 99-574 du 9 juillet 1999 d’orientation agricole, et sans changement depuis, indique que « l’aménagement et le développement durable de l’espace rural constituent une priorité essentielle de l’aménagement du territoire ». Et la loi de juillet 2010 précitée sur l’orientation pour l’agriculture précise, dans son article L 111-2, que ce développement rural impliquait d’améliorer un équilibre démographique entre le rural et l’urbain, et de prendre en compte les besoins en matière d’emplois. Bien évidemment ces objectifs, affirmés juste quinze jour après la promulgation de la loi condamnant la consommation d’espaces, ne peut se faire sans implantation complémentaire, hors zone urbaine, tant d’habitat que d’activités en tout genre. Le corpus législatif comporte donc depuis cette date une contradiction majeure. Pour le code de l’urbanisme, le monde rural reste d’abord voué à l’agriculture, et dans des basses eaux démographiques, alors que pour le code rural il est apte à connaître un réel développement, notamment démographique, à base d’implantations d’activités nouvelles.

“ Pour le code de l’urbanisme le monde rural reste voué à l’agriculture. Pour le code rural il est appelé à accueillir des activités nouvelles.”

Bien sûr la loi Alur 2014-366 du 24 mars 2014 sur l’accès au logement et un urbanisme rénové – 177 articles avec au moins 100 modifications au code de l’urbanisme, 10 ordonnances ratifiées et l’autorisation d’en faire de nouvelles, revint sur toutes ces dispositions, en général pour les préciser et les durcir, par exemple en rendant obligatoire les « diagnostics de densification ». C’était dans la logique de son rapport de présentation qui disait vouloir viser à terme l’artificialisation zéro, ce qui revient à cantonner sur les espaces actuellement artificialisés les activités humaines, telles que l’habitat, les activités économiques et la détente, d’une population en croissance.

Pour le moment, le volet urbanisme de cette loi n’a comporté que trois modifications législatives : la loi Pinel du 18 juin sur le commerce et l’artisanat ; la loi d’orientation agricole de décembre 2104 et la loi du 20 décembre sur la simplification du droit – à défaut d’assurer sa stabilité. Cependant deux dispositions méritent de retenir l’attention : d’abord une incitation à supprimer des zones dites d’urbanisation futures non utilisés depuis plus de 9 ans dans certains POS ou PLU, au risque d’en amorcer tout de suite un début d’utilisation dans de mauvaises conditions. Puis une suppression du COS, figure centrale de la planification urbaine depuis la loi d’orientation foncière et urbaine de 1967. Cette suppression, à laquelle Albin Chalandon, nommé ministre de l’Équipement et du Logement en 1968, avait alors pensé dans un esprit libéral, avait alors été écartée, car elle comportait le risque de voir les propriétaires se mettre à surestimer la valeur de leurs biens, et par le même coup freiner tous les processus d’aménagement et de réserve foncière – ou les rendre plus coûteux. Mais elle est supposée favoriser la densification des zones actuellement urbanisées, véritable Graal de la pensée urbaine actuelle.

Des notes de doctrine vinrent étayer le propos. Le Cerema 7, Centre technique et d’études du ministère, publia en octobre 2014 un quiz « Étalement urbain, où est le problème ? ».

L’étalement urbain y est condamné d’emblée, comme source de problèmes pour l’agriculture. Il y est aussi énoncé que « la construction de logement est le principal facteur de l’étalement urbain ». Les anciennes antiennes sur les risques que prennent les accédants à la propriété en maison sont consciencieusement reprises, sans examen de ce qu’il s’est passé à ce sujet dans la réalité depuis 40 ans. Et le périurbain est déclaré plébiscité par les classes moyennes, sans une allusion au 25 % d’ouvriers qui y résident. Leur existence, et ainsi que celles des usines dans lesquelles ils travaillent, semblent perdue de vue. Une plaquette de présentation de la loi Alur, diffusée en parallèle, qui s’intitule curieusement « Pour relancer la construction », énonce une priorité « Sauvegarder les espaces naturels et agricoles », et se félicite de ses actions pour limiter l’ouverture de nouvelles zones à l’urbanisation (page 20). Le vieux rêve de certains responsables d’agence d’urbanisme, qui définissaient l’urbanisme comme « l’organisation de la pénurie foncière », afin que toutes les demandes d’espace viennent se loger selon des schémas d’urbanisme préalable, a enfin trouvé sa loi.

Mais plusieurs sujets sont esquivés, non des moindres, et sans aucune approche, ni dans l’étude d’impact de la loi Alur, ni dans ses documents d’explicitation : où seront localisés les 500 000 logements par an, escomptés ? Pense-t-on vraiment pouvoir les trouver par de la densification et par de la surélévation de bâtiments existants, et se passer de toute extension des zones urbanisées ? Quel sera le coût ? En effet, les constructions en zone dense coûtent intrinsèquement plus cher à construire qu’en zones peu denses, sans même y prendre en compte le coût du foncier urbain 8. Enfin où va-t-on loger les familles ? Sur ce point, la réalité s’exprime.

Clairement les grandes villes deviennent le lieu privilégié par les ménages d’une personne, et d’abord par les étudiants, alors que les familles, soit les ménages avec enfant, s’orientent plus vers le périurbain, voire la zone rurale 9. Qu’un habituel thuriféraire de la densité puisse s’exclamer, lors d’une séance de formation de la DHUP sur l’intensification urbaine 10 « les familles, c’est du passé, les familles, c’est fini » ne traduit en fait que la grande difficulté, physique aussi bien qu’économique, de loger les familles en zone dense avec les normes moyennes de fait d’occupation d’aujourd’hui. Mais peut-on à la fois se féliciter d’une démographie dynamique, et refuser de réfléchir à la localisation des familles avec enfant ?

Enfin, alors même que les discours officiels réclament un nouveau développement industriel, où vont se mettre les futures usines et entrepôts ? Ce n’est pas en zone urbaine « à densité intensifiée » que l’on conservera, encore moins que l’on implantera des constructions, qui maintenant réclament en moyenne des centaines de mètres carrés au sol par emploi. Ces impasses ont quand même été repérées. Alors pendant que les textes votés par le Parlement restreignaient les possibilités de construire, deux ordonnances étaient promulguées pour en contrebalancer les effets.

La première, l’ordonnance 2013-888 du 3 octobre 2013 sur la procédure intégrée pour le logement crée un L 306-1-1 facilitant la réalisation de programme de logement d’intérêt général au sein des unités urbaines 11 – ce qui au sens de l’Insee, s’entend des communes entières comportant des parties urbanisées, mais donc d’autres qui ne le sont pas. Et, une fois que ce programme est accepté par les autorités compétentes, on y adapte tout ce qu’il faut – PLU, POS, Scot et Schéma directeur –, en modifiant s’il le faut les 15 documents de cadrage s’imposant en principe à toute nouvelle urbanisation, et figurant dans cinq codes différents. Le fantasme d’un urbanisme piloté par le projet a trouvé sa traduction législative. La seconde, – ordonnance 2014-811 du 17 juillet 2014 relative à la procédure intégrée pour l’immobilier d’entreprise –, complète ce L 306-1-1 par un L 306-1-1 bis transposant ce principe de primat au projet à l’immobilier d’entreprises, mais cette fois sans la restriction de « dans une unité urbaine ». On peut donc implanter de l’immobilier d’entrepris partout sur le territoire national quand cela paraît d’intérêt général. Et les logements, bien sûr, suivront. Le pilotage par l’aval se renforce. Ah, vous avez dit planification urbaine ?

En définitive, la production législative de ces dernières années, environ 400 modifications du code de l’urbanisme sous l’emprise de la hantise de l’étalement urbain – toujours non défini 12 –, et de la consommation d’espace – expression désormais rejetée par ceux qui ont la charge de sa mesure –, a tissé un tissu tellement serré de textes pour se préserver de toute implantation complémentaire qu’il a été nécessaire de mettre en place des échappatoires, comme au bon vieux temps des ZAC et de l’urbanisme de dérogation.

Ces textes, tendant clairement et explicitement à concentrer toute construction nouvelle sur des secteurs déjà urbanisés sont de fait en contradiction avec les articles de base du code de l’urbanisme – article L 121-1, comme du code rural et de la pêche maritime article L 111-1, et qui continuent à parler de « développement urbain maîtrisé » et de « développement rural ».

Et pourchassant de fait toute extension urbaine organisée, sauf les procédures de dérogation prévues par les ordonnances citées ci-dessus, les dernières lois ne font par contre coup que favoriser les constructions dispersées, au coup par coup, et débouchant sur un émiettement urbain, au détriment d’une politique organisée d’expansion urbaine, et donc de production foncière.

Mais qui peut croire que ce sont sur ces bases que l’on résoudra les problèmes de logement, comme d’emplois industriels, et que l’on redynamisera le milieu rural objet aujourd’hui de toutes les attentions politiques ?

  1. Description plus précise in O. Piron, article cité à la note 1.
  2. « Languedoc-Roussillon, la chute de la construction de logements », Claude Jamot, La Revue foncière, n° 4.
  3. Tableaux extraits du livre L’urbanisme de la vie privée, O. Piron, éditions de l’Aube, 2014.
  4. De l’étalement urbain à l’émiettement urbain. Deuxtiers des maisons construites en diffus », Castel Jean Charles, Les annales de la Recherche Urbaine, n°102, octobre 2007
  5. Modifiant l’article L 121-1 du Code de l’urbanisme. Cet article, à rédaction stable entre 1983 et 2000, fut modifié depuis à 6 reprises.
  6. « La pastille, l’étoile et le règlement », Vincent Le Grand, La Revue foncière, n° 3, mars-avril 2015.
  7. Cerema : Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement.
  8. « Quel prix de revient des constructions ? », Jean Charles Castel, Constructif, juin 2013.
  9. Même si curieusement l’Insee, dans sa note du 28 avril 2015 sur les résultats de l’enquête logement, nie ce phénomène, alors que ce document lui-même donne tous les éléments pour le constater.
  10. « Encourager l’intensification urbaine à travers les documents d’urbanisme », séminaire du mercredi 15 octobre 2014.
  11. Et non des seuls espaces urbanisés, comme le laisse entendre la circulaire précitée intitulée « pour relancer la construction ».
  12. Cf. Piron Olivier, article cité en note 1.