Ironie de l’histoire, les petites gares TER auraient de nouveau le vent en poupe, après plusieurs décennies marquées par le déclin des lignes périurbaines et par la fermeture de nombreux points d’arrêts du réseau ferroviaire. Pas un SCoT n’omet aujourd’hui d’arrimer le développement urbain futur aux réseaux structurants de transport public et en particulier aux lignes TER, alors même que l’urbanisation des cinquante dernières années a largement tourné le dos aux infrastructures ferroviaires 1. Si une large communauté professionnelle appelle de ses voeux cette densification aux abords des petites gares 2, il y a pourtant loin de la coupe aux lèvres : en dehors de l’Île-de-France, les réalisations abouties sont rares. Certes, le transport public va de pair avec une certaine densité de population qui fait défaut aux territoires périurbains. Mais eston sûr qu’un urbanisme dense, ou « intense » comme on dit parfois, serait attractif dans des secteurs où la demande résidentielle est d’abord une demande d’habitat individuel diffus ? Les ménages qui ont quitté les centres villes pour assouvir un rêve de maison individuelle ont-ils envie d’emménager dans un quartier dense à proximité d’une gare de grande banlieue ? Et d’ailleurs, le fait de résider à proximité du train conduitil à changer ses pratiques de mobilité pour moins dépendre de l’automobile pour ses déplacements quotidiens ? La région lyonnaise offre un exemple qui permet de disposer d’un peu de recul pour apporter des réponses à ces questions. À Anse, commune de 6 000 habitants située à une trentaine de kilomètres au nord de Lyon, une ZAC de 180 logements a en effet été terminée en 2009, à proximité immédiate d’une halte ferroviaire déplacée pour l’occasion. La commune jouit d’une forte attractivité, qui tient à la fois à sa dynamique associative, à la proximité des monts du Beaujolais, aux deux autoroutes qui la desservent et aux 25 allers-retours quotidiens qui la mettent à moins d’une demi-heure de Lyon en TER.
Une opération qui a rapproché la gare des lieux d’habitation
La création de la ZAC du Pré aux moutons en 2001 est la concrétisation d’un projet d’extension urbaine porté par la commune dès les années 1990. La ZAC s’inscrit dans la continuité du centre bourg et s’étend jusqu’à la voie ferrée sur d’anciens terrains agricoles. Six hectares initialement répartis entre plusieurs propriétaires deviennent le support d’une opération combinant logements, commerces et activités. Pour la commune, l’objectif est alors d’attirer de nouveaux ménages, en particulier des familles avec de jeunes enfants, et de redynamiser l’activité commerciale. Le rapprochement de la gare n’interviendra que dans un deuxième temps. La gare historique d’Anse est en effet située 800 m plus au nord. Excentrée, elle est peu utilisée. La région Rhône- Alpes 3 décide de profiter du projet urbain en cours de définition pour « rapprocher » la gare des secteurs urbanisés : la gare historique sera fermée pour céder la place, en 2006, à une toute nouvelle halte ferroviaire, aménagée en limite immédiate du périmètre de l’opération.
La composition du plan masse contribue à l’insertion urbaine et à la mise en valeur de cet équipement. Située sur un point haut du site, la halte est visible en plusieurs points du nouveau quartier et offre ainsi des vues sur les collines ansoises. Des cheminements piétons et cyclistes ont également été aménagés de façon à faciliter son accès, à le rendre pratique, agréable et sûr pour les modes doux. La diminution des nuisances sonores est assurée par des murs anti-bruit et un système de chicane à l’entrée de la halte permet une vue sur les quais. La conception architecturale s’est également attachée à utiliser un matériau emblématique de la région, les pierres dorées. Le programme de l’opération comprend au final 178 logements et 2 900 m² de commerces, dont un supermarché. Un quart des logements sont des logements sociaux, et la moitié des logements restants est en accession sociale, conformément au souhait de la commune d’offrir des logements accessibles pour des familles aux revenus intermédiaires. Les petits collectifs, les maisons jumelées ou accolées et les maisons individuelles avec jardin bénéficient d’un traitement architectural reprenant les coloris et gabarits de l’habitat du centre-bourg. Le plan masse accorde un grand soin aux espaces publics et aux cheminements. Les premières livraisons ont eu lieu en 2007, les travaux se sont achevés fin 2009 (cf. photos + plan-masse).
Profil dominant, des familles avec enfants
Qui sont les premiers habitants de cette opération ? L’enquête, menée au printemps 2012 auprès de 19 ménages (37 personnes), a permis d’approcher certains des « pionniers », mais également des ménages arrivés plus récemment à l’occasion de la revente de certains logements 4. L’enquête qualitative par entretiens visait notamment à comprendre les raisons du choix résidentiel de ces ménages, à cerner les attentes et représentations quant au logement et au cadre de vie, et à apprécier les changements survenus (ou pas) en matière de mobilité quotidienne du fait de la proximité d’une gare dotée d’un bon niveau de desserte vers la métropole. Ces entretiens, d’une durée moyenne de 45 minutes, ont eu lieu au domicile des personnes interrogées, en face-à-face, et quelquefois avec le couple 5. La prise de contact avec les enquêtés s’est faite de plusieurs façons : en les rencontrant dans les rues et espaces publics du nouveau quartier, ou en se présentant directement à leur domicile à différents moments de la journée et de la semaine. Les entretiens réalisés le matin concernaient notamment des femmes en congé maternité, des personnes ayant des horaires décalés, travaillant à domicile ou sur la commune. Les prises de contact en soirée permettaient ensuite d’interroger principalement des actifs aux profils divers. Le profil de ménage qui domine l’enquête est, de loin, celui de la famille avec enfants. En effet, les habitants ayant participé à l’enquête sont pour l’essentiel des couples ; deux ménages seulement sont sans enfants, onze ménages ont deux enfants ou plus. Autre particularité, la quasi-totalité des ménages sont bi-actifs puisqu’une seule personne, sur les 37 concernées par l’enquête, était sans emploi. Ces personnes occupent pour l’essentiel des professions intermédiaires, subordonnées : ils sont en général employés du secteur public, ouvriers ou techniciens (du BTP par exemple) 6. L’agglomération lyonnaise est la principale destination pour le travail pour près de la moitié des enquêtés, suivie par la commune d’Anse pour un enquêté sur cinq. Une majorité des ménages enquêtés (11 sur 19) résidait dans l’agglomération lyonnaise avant de s’installer à Anse : leur trajectoire résidentielle s’inscrit dans une logique de desserrement du coeur de l’agglomération.
Logement abordable et qualité du cadre de vie : des critères déterminants
Pour les ménages propriétaires de leur logement au Pré aux moutons, le choix résidentiel est d’abord justifié par des considérations financières. Anse est située hors communauté urbaine, au-delà également de la première couronne très prisée du nordouest de Lyon ; les prix immobiliers y sont inférieurs à ceux de l’agglomération lyonnaise 7.
De surcroît, l’objectif de la ZAC était de répondre à des besoins de logements abordables pour des familles : le prix de vente d’une maison jumelée avec jardin y était inférieur d’environ 10 % à celui d’une maison de surface identique, mais indépendante, située ailleurs sur la commune 8. Ces écarts ont permis à plusieurs des enquêtés de concrétiser leur souhait d’accession à la propriété. Pour eux, mais également pour les ménages locataires, le choix d’un logement dans la ZAC a constitué une solution concurrentielle, non par rapport à la maison isolée en périurbain lointain, mais par rapport aux possibilités offertes de trouver un logement abordable, en location ou en accession, dans le centre ou en première couronne de l’agglomération lyonnaise. D’ailleurs, plusieurs occupants de maisons accolées ont transformé le garage de plainpied en pièce de vie, bureau ou chambre et stationnent leur voiture sur la voirie. Cet aménagement leur a permis de récupérer à peu de frais des mètres carrés supplémentaires donnant directement sur le jardin. Si les considérations financières reviennent fréquemment, la possibilité de disposer d’un jardin, et plus généralement de bénéficier d’un cadre de vie apaisé, plus proche de la nature, sont les premiers critères évoqués par les enquêtés pour expliquer leurs choix résidentiels. Coût d’acquisition, jardin, nature : ce triptyque est conforme aux raisons usuellement exprimées par les ménages périurbains étudiés par ailleurs 9. La présence de la gare a-t-elle constitué un critère de choix supplémentaire ? Curieusement, en première approche, la réponse est plutôt négative. « Au départ, on ne savait pas qu’il allait y avoir la gare… » confiait même ce jeune couple. La proximité de cet équipement et la qualité de la desserte ferroviaire n’ont apparemment joué un rôle que pour un nombre restreint de ménages – sur lesquels on reviendra par la suite. Bien plus nombreux sont les ménages qui disent avoir plutôt été séduits, lors de la première visite, par la proximité des commerces, du centre bourg et de l’école.
Quand proximité rime avec opportunité
Si la présence de la gare n’a eu que peu d’effets sur les choix résidentiels, il en va autrement de ses effets sur les pratiques de mobilité quotidenne. Bien que restreinte, la population interviewée témoigne d’un usage du transport ferroviaire sans commune mesure avec les valeurs usuellement constatées : environ un tiers utilise régulièrement le train pour les déplacements domicile- travail, auxquels s’ajoutent quelques utilisateurs combinant l’automobile et le train en fonction des contraintes de la journée (dépose d’enfants, activités associatives, etc.). Un enquêté sur cinq se rend à son travail en marchant, ce qui correspond à la part de l’emploi local dans l’échantillon des personnes rencontrées. Les habitants enquêtés restent néanmoins fortement motorisés 10. L’automobile représente le mode exclusif d’accès au travail pour une petite moitié d’entre eux. Ces chiffres sont à rapprocher des statistiques nationales qui montrent d’ordinaire, pour les espaces périurbains, des parts de marché de l’ordre de 80 à 85 % en faveur de l’automobile pour les déplacements domicile-travail, et de moins de 5 % pour le transport public 11. Les entretiens revèlent que la proximité de la gare a permis, pour certains enquêtés, de faire l’expérience concrète d’une mobilité alternative au tout-automobile. L’usage du train est ainsi entré dans « l’univers des possibles » de plusieurs personnes rencontrées, que le TER soit utilisé quotidiennement, ou alors pour une partie seulement des déplacements hebdomadaires en combinaison avec d’autres modes. « Au début, je ne me voyais pas du tout prendre le train… », disait ainsi cette mère de famille qui, travaillant à Lyon, adapte désormais son mode de transport (voiture ou TER) selon les contraintes familiales et l’emploi du temps de son mari. La proximité de la gare a souvent créé l’opportunité : « Au départ, elle prenait la voiture, et puis après elle a décidé de prendre le train parce que la gare elle est à 300 mètres, quelque chose comme ça ! Donc elle prend le train », ce choix expliquant que ce couple bi-actif ait décidé en l’occurrence de mettre en vente sa deuxième voiture. Plusieurs enquêtés disent avoir découvert ainsi les avantages offerts par le TER en matière de confort et de temps de trajet à l’heure de pointe. « Je prends le train tous les jours et je me rends compte que ça apporte vraiment un plus, au quotidien » 12. Certains adeptes du TER étaient déjà utilisateurs du transport public lorsqu’ils résidaient dans l’agglomération lyonnaise, et ils prolongent désormais cette expérience antérieure sur d’autres réseaux. Mais la « découverte » du train est pour d’autres un véritable premier pas vers le transport public qui conduit à renoncer, au moins pour partie, à l’usage de l’automobile.
Pragmatiques, réactifs ou traditionnels ? Une typologie des modes d’habiter
Pour approcher plus finement les principales tendances observées, il a paru utile de distinguer trois profils d’habitants : les réactifs, les pragmatiques et les traditionnels. Cette typologie, nécessairement réductrice, permet de souligner les principales différences en matière de représentations du logement, d’aspirations résidentielles et de pratiques de mobilité.
Premier profil, les réactifs se caractérisent par un certaine impulsivité de leur choix résidentiels. En situation d’entretien, ces ménages expliquent leur choix de logement par le « coup de coeur », de sorte que la découverte précise de l’environnement résidentiel se fait a posteriori. « Ça s’est fait comme ça ! Vous savez, nous, tous nos trucs ça a toujours été des coups de coeurs, du jour au lendemain. Là, ça s’est fait en une semaine ! » (Locataire, quinquagénaire, installé depuis 2011, il dispose d’une voiture de fonction qu’il utilise quotidiennement, en couple avec un enfant, sa femme est devenue utilisatrice régulière du train.) Parce qu’ils alternent les statuts résidentiels (et souvent les statuts professionnels) 13, le logement qu’ils occupent s’apparente à un bien de consommation courante dont ils peuvent se séparer au gré des occasions. Si ces ménages occultent les contraintes de mobilité lorsqu’ils s’expriment sur leurs choix résidentiels, en pratique, ils manifestent souvent une réelle sensibilité à l’offre de transport. La proximité du train est vécue comme une opportunité à saisir et conduit souvent à faire une première expérience de cette mobilité alternative à l’automobile. Par ailleurs, la proximité des commerces, équipements et services contribue, selon eux, de façon notable à la qualité de vie. Les réactifs manifestent ainsi fréquemment le désir de poursuivre leurs parcours résidentiels dans un environnement offrant de tels avantages liés à la proximité : Question : « Vous pensez que la proximité des commodités sera un critère de choix, si vous changez de lieu de résidence ? » Réponse : « Oui, parce qu’on n’en avait pas conscience quand on était à Rouen, mais aujourd’hui on s’est rendu compte que ça nous apportait un confort inégalable donc on ne voudrait pas le perdre ! » (Couple avec quatre enfants, arrivés de la banlieue pavillonnaire de Rouen en 2008, ils privilégient tous les deux la marche pour leurs déplacements quotidiens.) Deuxième catégorie, les pragmatiques ont pour particularité d’orienter leurs choix résidentiels en fonction de critères objectifs et quantifiables : prix et taille du logement, proximité des commodités, éloignement du lieu de travail. Notons que ce dernier n’est pas pensé en termes de distances mais de temps de parcours : « Ici, ce n’est pas si éloigné de Lyon, [en train] il suffit de 20 minutes pour arriver à Vaise alors que lorsque vous prenez la voiture, sur Lyon, vous pouvez rester 20 minutes à un carrefour… » (Couple de propriétaires trentenaires, employés d’une entreprise publique à Lyon-Vaise, tous deux utilisateurs quotidiens du train depuis leur arrivée à Anse en 2008, trois enfants.) Les choix résidentiels sont synonymes de concessions et de compromis, guidés par la conviction qu’ « on ne peut pas tout avoir ». L’objectif est pour ces ménages d’atteindre un certain bien-être et non un idéal de logement. Les pragmatiques prennent de la distance vis-à-vis de leur habitat, et ce quel que soit leur statut résidentiel. Par ailleurs, une réflexion sur les conditions de mobilité accompagne les choix résidentiels. L’accessibilité en transport en commun (ici le train) est un critère de décision important, voire déterminant : « Donc on a cherché, mon conjoint travaillant sur Lyon, au niveau de toutes les gares, et on s’est dit une demi-heure maximum en train… » (Couple de propriétaires trentenaires, elle travaille à Anse et lui à Lyon, ils ont quitté Lyon pour s’installer à Anse en 2008, lui utilisait déjà les transports urbains pour se rendre à son travail, trois enfants.) Le choix d’un mode de déplacement se fait, là encore, en fonction de critères rationnels, coût et temps de transport notamment. Usagers quotidiens ou réguliers du train pour les déplacements domicile-travail, les pragmatiques privilégient les déplacements à pied à l’échelle de la commune. En général, villes de courtes distances et pratique multimodale ne sont pas une découverte pour ces ménages souvent issus de l’agglomération lyonnaise, où ils utilisaient déjà largement les modes alternatifs à l’automobile. La maison avec jardin apparaît comme l’unique horizon résidentiel des ménages traditionnels qui constituent le troisième profil rencontré. Étroitement liée au projet de famille, elle se voit affecter une valeur patrimoniale. Elle représente un idéal à atteindre même si cela nécessite de faire des sacrifices : concrétiser ce projet résidentiel implique un « prix à payer ». Les personnes apparentées à ce profil sont souvent issues de milieux ruraux et ont vécu en maison individuelle isolée dans leur enfance 14. Les expériences résidentielles qui ont suivi n’ont pas remis en cause ce modèle : « Non, mais c’est vrai que la maison sans jardin, pour nous ce n’est pas une maison, quoi ! […] Ben, on a grandi comme ça ! » (Couple de trentenaires avec deux enfants, propriétaires d’un appartement acheté en 2008, elle utilise la voiture et lui, la moto, pour les déplacements quotidiens.) Par ailleurs, si la proximité des commodités dont ils font l’expérience à Anse leur apporte une certaine qualité de vie, les traditionnels affirment être prêts à y renoncer pour acquérir une maison avec jardin : Question : « Qu’est-ce qui va le plus vous manquer quand vous allez quitter Anse ? » Réponse : « Le dimanche matin, descendre à la boulangerie qui est juste en bas, avoir le pain tout frais… Il n’y aura pas ça chez nous… — Non. Oui, il va falloir acheter un grillepain… — Ah non !… tu prendras la voiture… ! » (Couple arrivé de Lyon en 2008, qui s’apprête alors à emménager dans une maison plus spacieuse et éloignée, achetée en 2012 après la revente du logement à Anse.) Enfin, les traditionnels ne sont pas sensibles à la qualité de la desserte en transport public dont bénéficie la commune : le champ des possibles en matière de mobilité reste circonscrit à l’automobile, dont ils vantent volontiers le confort, la flexibilité et la rapidité, et dont ils minimisent les coûts (au regard, par exemple, des réductions fiscales qu’elle permet) : « La voiture c’est encore ce qui est le plus intéressant. Avec le train, je ne serais pas sûr d’arriver à temps. […] La voiture, c’est plus pratique. » (Couple de trentenaires, famille recomposée de 4 enfants, elle a un emploi qui impose des déplacements fréquents en voiture, lui est ouvrier dans une usine du sud de l’agglomération lyonnaise où il se rend en voiture.)
Un train de vie peut-il en cacher un autre ?
Un urbanisme « ferroviaire », qui proposerait densité et mixité fonctionnelle aux abords des gares, est-il de nature à restreindre le mouvement de périurbanisation ? L’exemple d’Anse tend plutôt à montrer que ce type d’aménagement tire justement partie des aspirations périurbaines de certains. Parmi les ménages rencontrés, nombreux sont ceux pour qui cette étape résidentielle est transitoire, soit qu’ils rêvent d’une maison plus grande, non mitoyenne, soit qu’ils s’imaginent saisir d’ici peu d’autres opportunités au gré des changements professionnels, la ZAC du Pré aux moutons leur offre une étape dans une trajectoire résidentielle orientée par la recherche d’un cadre de vie périurbain. Si les enquêtés ont trouvé dans le quartier un logement, ils semblent avoir avant tout choisi une localité, un environnement résidentiel : certains manifestent le souhait de déménager (notamment pour devenir propriétaires ou pour disposer d’un logement plus grand) mais beaucoup expriment le désir de rester dans le secteur. Parce que Anse est un territoire très attractif, et parce que la ZAC a fait l’objet d’un soin particulier dans sa conception, son programme et son traitement architectural, cette expérience résidentielle n’est pas anodine. Tous les individus rencontrés disent apprécier la mixité fonctionnelle du nouveau quartier. La qualité des espaces publics, la présence de commerces et la proximité d’un centre bourg animé conduisent plusieurs des ménages enquêtés à plébisciter les avantages d’une ville dense, d’une ville « des courtes distances ». Ce n’est que pour une catégorie précise de ménages que la présence de la gare a été un facteur supplémentaire d’attractivité au moment du choix : les « pragmatiques », souvent déjà utilisateurs du transport ferroviaire ou des transports urbains auparavant. À l’inverse, que la gare soit proche ou non, et quelle que soit la performance de la desserte par le TER, les ménages aux profils les plus traditionnels restent des « automobilistes exclusifs ». Mais un résultat important tient au fait que pour une troisième catégorie d’individus, le fait d’habiter à Anse a fourni l’occasion de faire l’expérience du train. Pour ces ménages « réactifs », prêts à saisir les opportunités de tous ordres et sensibles de ce fait à l’offre de transport public 15, cette expérience a joué un rôle important dans la capacité à substituer progressivement le TER à l’automobile, au moins pour une partie des trajets domicile-travail et ce alors qu’on n’y pensait guère auparavant. Il serait hasardeux de généraliser les enseignements de cette opération singulière, et circonscrite. Tout porte à croire en tout cas que ces quartiers denses attirent des ménages pragmatiques dans leurs choix de mobilité et de lieu de résidence, alors qu’ils ne fixent qu’un temps les plus traditionnels, pour lesquels la maison isolée reste le point de mire. Mais entre ces deux tendances, d’autres profils d’individus sont prêts à faire l’expérience d’une vie périurbaine fondée sur une logique de proximité, et sur l’expérimentation d’une mobilité quotidienne moins dépendante de l’automobile. Une telle expérience peut-elle induire des changements durables quant aux comportements de mobilité ? Peut-elle conduire à reconsidérer ses aspirations résidentielles ? Ce sont là d’autres questions qui nous rappellent que la proximité d’une gare… ne fait pas tout !
- Cf. Desjardins Xavier, Seguret Sylvain et Beaucire Francis, « Urbanisation et corridors ferroviaires : quel degré de relation ? », in Denise Pumain et Marie-Flore Mattéi, Données urbaines, n°6, Anthropos-Economica, 2011, pp.75-80.
- Certu, 2012, « Mettre les gares TER au coeur des stratégies territoriales : pourquoi ? comment ? », 8 p., (en ligne sur www.certu.fr).
- Autorité organisatrice du transport ferroviaire depuis 2001, la région Rhône-Alpes faisait partie des sept régions qui avaient expérimenté cette compétence depuis 1997.
- Cf. Caron Solène, 2012, « Habiter des formes urbaines compactes à proximité d’une gare périurbaine, une expérience de vie : quelles influences sur les parcours résidentiels et la mobilité des habitants ? », mémoire de fin d’études, École nationale des travaux publics de l’État, Vaulx-en-Velin.
- 4 des 19 entretiens réalisés l’ont été en présence des deux membres du couple. Même lorsque l’entretien avait lieu en tête-à-tête, les questions relatives aux pratiques de mobilité quotidienne portaient sur l’enquêté et son(sa) conjoint(e), ce qui a permis d’obtenir ces informations sur 37 personnes.
- Ces ménages relèvent des catégories intermédiaires entre les classes populaires les plus stabilisées et les fractions inférieures des classes moyennes. (Cf. les « petitsmoyens » popularisés par l’enquête de Marie Cartier et al., 2008.)
- Les données issues de la base Perval montrent une différence importante des valeurs immobilières entre les aires urbaines de Lyon et de Villefranche-sur-Saône : le prix moyen des transactions sur les maisons (hors construction neuve) atteignait 238 000 euros à Villefranche, contre 318 000 à Lyon sur la période 2004-2008 (observatoire régional de l’habitat et du logement de Rhône-Alpes, 2009). Les valeurs à Anse sont sans doute sensiblement plus élevées que la moyenne sur l’aire urbaine de Villefranche, compte tenu de l’environnement offert.
- En 2009, au Pré aux moutons, une maison jumelée de 80 m² avec jardin se vendait autour de 200 000 euros. Ailleurs sur la commune, un bien équivalent, mais indépendant et avec un jardin éventuellement plus important, était affiché en agence autour de 220 à 230 000 euros (éléments donnés début 2010 par deux agences immobilières ansoises à l’occasion d’un interview dans la presse locale, cf. Le Progrès du 17 mars 2010).
- Cf. Dodier Rodolphe (dir.), 2012, Habiter les espaces périurbains, Presses universitaires de Rennes, et Charmes Éric, 2009, dossier « L’explosion périurbaine », Études foncières, n° 138, mars-avril, pp. 25-35.
- Deux-tiers des ménages enquêtés ont deux voitures.
- Données issues de l’enquête nationale transport 2008 (CGEDD, 2010, pp. 36-37). Voir également L. Cailly « Existe-t-il un mode d’habiter spécifiquement périurbain ? » sur EspacesTemps.net, mai 2008.
- Le fait mérite d’être signalé : l’intérêt pour le TER a été principalement relevé chez les femmes… les choix modaux sont ici aussi souvent adossés aux hiérarchies au sein des couples.
- Les profils réactifs valorisent la mobilité professionnelle autant que la mobilité résidentielle.
- Sur l’importance de la trajectoire résidentielle dans l’accès à la maison individuelle : Debroux, 2011.
- Ces catégories d’automobilistes « exclusifs » et « sensibles à l’offre des transports publics » sont tirées de la typologie des comportements et choix modaux établie par le sociologue Vincent Kaufmann (Mobilités quotidiennes et dynamiques urbaines, Lausanne, Presses universitaires romandes, 2000).