Le traitement diversifié des espaces naturels urbains

par et | 27 Nov 2015 | Environnement | 0 commentaires

Face aux phénomènes d’urbanisation et de périurbanisation croissants, donc d’artificialisation des espaces agricoles et naturels, la recherche s’était jusque-là principalement concentrée sur les terrains urbanisables ou sur les sols agricoles, viticoles et fores-tiers ; elle commence à intégrer les sols des espaces naturels urbains qui constituent des milieux complexes, évolutifs, vivants, très hétérogènes, dont il faudrait étudier mieux le fonctionnement. L’enjeu est simple : faute d’une prise en compte de valeurs autres qu’agronomiques, ils resteront en tant que support foncier libre et disponible, sous la menace d’une urbanisation de densification.

Le caractère vulnérable, des espaces naturels urbains, amène à considérer qu’une recherche consacrée aux sols urbains, supports d’espaces ouverts, publics ou privés, nécessite une démarche pluridisciplinaire prenant en compte la diversité de leurs fonctions, de leurs usages et de leurs modes de gestion. Cette recherche s’est déroulée dans le cadre du programme national « Gessol » (pour « fonctions environne-mentales et gestion du patrimoine sol »). Il ne s’agissait pas pour l’équipe de recherche de juxtaposer des analyses hétérogènes, mais de déterminer les outils et indicateurs permettant une meilleure gestion, et donc une possible conservation des espaces naturels urbains d’une agglomération, en partant d’une redéfinition de leurs sols-supports 1.

Cette approche originale peut se présenter ainsi : la protection des sols nécessite non seulement une connaissance de ce milieu vivant, mais aussi la prise en compte de sa fonction productive en même temps que de son caractère d’utilité publique au travers d’éventuels services rendus à la société. Les espaces naturels urbains constituent l’expression la plus complète, la plus exigeante de ce que l’on nomme le plus couramment : la nature en ville. Pour la préserver quatre préalables sont à prendre en considération :

  • Seul un sol urbain, vivant, sain et diversifié peut être considéré comme un support pertinent de la nature en ville.
  • Les rapports entre l’homme et la nature entraînent des pratiques sociales transcendant les relations entre acteurs publics et usagers ; entre individus et collectivités ; voire entre générations.
  • La dimension paysagère des parcs et jardins urbains participe des différents processus de réalisation de la ville.
  • Les dispositifs réglementaires, s’ils constituent une protection efficace pour les sols cultivés, le sont beaucoup moins face aux menaces d’artificialisation des sols-sup-ports des espaces naturels.

L’équipe de recherche CESAT a choisi comme terrain d’étude une agglomération moyenne (300 000 habitants) dont l’histoire, la morphologie, les stratégies urbaines développées dans son SCOT présentent une certaine représentativité à l’échelle des villes moyennes françaises : l’agglomération de Tours.

Avec un taux de 0,74 % de paysage vert visible par satellite en milieu urbain, Tours se place en 35e position parmi les 96 agglomérations ayant fait l’objet d’une telle observation (cf. carte de la situation géographique des parcs et jardins en 2011). Si, à cette position dans la moyenne nationale, on ajoute que la ville de Tours ne possède pas de caractéristiques extrêmes, cela fait de l’agglomération tourangelle un bon espace d’étude correspondant au périmètre de son SCOT adopté en 2013 dont le « document d’orientation et d’objectifs » (DOO) a en particulier pour objectif de reconquérir et de valoriser les espaces naturels. À partir de là, 1950 espaces naturels urbains non agricoles, publics ou privés, ont été identifiés, en fonction de trois critères :

  • correspondre à des parcs ou jardins, et non des espaces boisés,
  • être ouvert à une fréquentation publique, même faible,
  • avoir une superficie d’au moins 1 ha et d’un seul tenant.

Le   nombre    d’espaces  naturels   répondant aux critères était de 86. Il en existait de trois types : espace vert de proximité (square, jardin, espace vert d’accompagnement d’habitat), projet de parc ou espace de loisirs à l’échelle de l’agglomération, parc et espace de loisirs à l’échelle de l’agglomération.

Ces 86 espaces ont fait l’objet d’une caractérisation multicritère (pédologie, écologie,foncier, aménagement, gestion, fréquentation potentielle) réalisée par différentes méthodes statistiques produisant des typologies. Au final, on aboutit alors à trois types d’espaces naturels.

Type 1 : Des espaces de surface intermédiaire (10 à 20 ha) assis généralement sur des anthroposols (sols réalisés par l’homme lui-même), hétérogènes, structurés, avec une portion de couvert forestier et des aménagements nombreux notamment des plans d’eau.

Type 2 :  Des espaces verts relativement homogènes, peu structurés par le gradient urbain et présentant une matrice arborée et arbustive sans répondre pour autant à des dynamiques naturelles (bois, cours d’eau).

Type 3 : Des espaces assis sur des fonds de vallée ou des sols de plateau et présentant une mosaïque arborée importante à proximité d’un cours d’eau.

 

Le sol physique, une ressource naturelle

L’analyse des sols-supports des espaces naturels urbains nécessite d’appréhender la ressource sol dans différentes dimensions : écologiques, mais aussi surfaciques, socio-économique et symbolique.

Situation géographique, parcs et jardins de l’agglomération tourangelle, 2011

Si le sol naturel remplit de multiples fonctions écologiques en tant que support végétal et milieu filtrant des eaux pluviales, sa nature physique influe sur les activités socio-économiques lesquelles impactent en retour la nature physique du sol. Quant à la signification sociale du sol, elle tend à varier dans le temps, dans l’espace ainsi qu’en fonction des groupes sociaux qui en font usage. Ainsi le sol-support des espaces analysés n’a pas la même signification pour un urbaniste, un jardinier, ou l’usager des jardins publics. Pour l’urbaniste ou le décideur public, le sol naturel représente avant tout un patrimoine collectif remplissant une fonction de détente et de repos dans le respect des règles de la domanialité publique (pas d’usage privatif, comportements respectueux de l’espace public).

« Le jardin botanique, sert de jardin de proximité, on autorise les pelouses, il y a beaucoup d’animations qui le malmènent. Les pelouses souffrent. C’est le jardin des bureaux et des écoliers. En été les pelouses sont pleines. On essaie de garder un équilibre. » déclarait un élu local.

Les jardiniers, c’est-à-dire les techniciens chargés de l’entretien du jardin, d’un espace naturel développent une relation singulière au sol. Ils le pratiquent et le manipulent au quotidien, ce qui débouche sur une approche mobilisant à la fois une connaissance « savante » et une perception sensuelle : la couleur, la texture, la lourdeur, l’odeur, le taux d’humidité, le pH du sol (son acidité).

« Dans notre métier, explique un jardinier, le sol est important. C’est notre source de difficulté, parce que si le sol est super dur, automatiquement c’est plus dur pour nous. S’il est souple, c’est plus sympa pour nous […]. On s’appuie sur les ressources, on évite de faire n’importe quoi et de favoriser ce qui est local, mais attention, on ne laisse pas les choses aller comme elles veulent. C’est un peu plus compliqué que ça, il y a quand même des attentes. Disons que c’est du naturel, oui, mais maîtrisé. »

Quant à l’usager, il ne perçoit le sol que lorsqu’il devient une contrainte : « Je ne vais plus dans le bois des Hâtes quand il pleut, on se met de la boue partout. » L’usager perçoit certes le sol mais en tant que support inerte, d’une nature spontanée et bienveillante. Ces différentes significations relèvent d’une construction sociale qui se fait à la fois d’une manière matérielle et physique et d’une manière symbolique et perceptuelle. D’où l’importance d’une gestion appropriée des sols.

C’est ainsi que l’on doit prendre en compte la nécessité de garantir aux sols un entretien adapté (en fonction de leurs composants physico-chimiques), pour préserver leur durabilité dans le temps (et donc leur évolution naturelle) de manière à ce qu’ils assurent des fonctions (supports de pelouse, de végétations, de plantations) non seulement en rapport avec leur nature, mais aussi avec les besoins des usagers (détente, repos, découverte d’un milieu etc.).

Cela impose d’analyser régulièrement, par des piégeages notamment, la présence d’espèces animales sauvages qui révèlent par les chiffres de leur population, la vitalité, la richesse des sols, leur capacité à générer une faune et une flore variées, c’est-à-dire une biodiversité. Par exemple, présents dans tous les sols de la terre, les insectes et araignées constituent d’excellents indicateurs de biodiversité.

Sans doute les analyses des espèces animales qui se reproduisent dans le périmètre spécifique de l’espace naturel urbain et la présence de micro-mammifères révèlent-elles la capacité des sols à durablement préserver une biodiversité, mais outre que l’intervention de l’homme est toujours menaçante, la ressource sol apparaît plus vulnérable lorsque son mode de gestion et ses techniques d’entretien, voulus par l’urbaniste (à partir d’arrêtés municipaux), pratiqués par le jardinier (dans le respect des règlements limitant notamment l’usage de produits phytosanitaires) et ignorés par l’usager (qui recherche la contemplation et le plaisir esthétique), montrent des insuffisances.

Les espaces observés voient leur biodiversité et donc à terme leur dimension de ressource naturelle menacée à la fois par des modes de gestion :

  • indifférenciés, sans tenir compte de la diversité de nature des espaces étudiés (« Les tontes de pelouses, sont organisées par un programme ne permettant pas, dans certains cas, de pratiquer des fauches tardives » (l’élu local)) ;
  • inadaptés aux spécificités des sols-supports (« On ne fait pas pousser n’importe quoi, n’importe où, c’est la plante qui com-mande » (le propriétaire)) ;
  • inappropriés à l’évolution naturelle de la biodiversité, (« Si certains ravageurs sont trop destructeurs, il suffit de procéder à des amendements dans le sol. » (le jardinier)) ; et des techniques d’entretien discutables,
  • abus de produits phytosanitaires, (même si le volume utilisé se réduit) ;
  • labour trop fréquent du sol, (c’est une technique ancestrale, difficile à faire évoluer) ;
  • tonte régulière et renouvellement abusif des plants (les impératifs esthétiques).

Pour que vivent ensemble, animaux, plantes et humains, pour que les sols urbains naturels continuent d’accompagner l’évolution matérielle des écosystèmes, pour que leur durabilité soit assurée, il faut dans un second temps mettre en évidence les fonctions et services rendus par les sols.

Typologie des espaces naturels centraux

Fonctions et services rendus par les sols

Il semblerait 2 qu’à la fois, les urbanistes, les jardiniers, et les usagers développent une représentation du sol qui se trouve réduit à un simple support, à ne représenter qu’une valeur d’usage. L’espace naturel urbain, le jardin public ou privé, n’apparaît « intéressant » qu’à travers des usages qu’il rend possible :

  • espace de contemplation et de plaisir esthétique ;
  • lieu de promenade accessible ;
  • espace de circulation et de déplacements ;
  • lieu de repos, de détente, de récréation ou d’activités sportives ;
  • espace de liberté, espace contraint ;
  • lieu de convivialité et de sociabilité.

Les conséquences de cette valeur d’usage des sols sont révélatrices. Les sols ne sont perçus que lorsque leur usage est perturbé en raison de leur nature même : glissant, la boue, des ornières, des herbes trop hautes, voire un glissement de terrain. Dans ces situations-là, « la nature reprend le dessus » mais superficiellement et surtout provisoirement. Pour le temps qui reste, le sol redevient une abstraction, un support, dont les qualités naturelles ou artificielles rendent possibles les usages précédemment énumérés. C’est cette absence de discours et de représentations du sol, en tant que tel qui structure du point de vue des usagers principalement, les modalités de perception des fonctions et services rendus.

Depuis l’ambiance forestière…. © Jean-Louis Yengue

La question du sol est d’autant plus éloignée des préoccupations des usagers qu’il reste partiellement dissimulé par une couverture végétale sur laquelle ils ne peuvent agir. Pour le reste, l’important c’est la propreté des allées, parce qu’une allée boueuse, renvoie à une forme de chaos, parce qu’elle est un obstacle à la fluidité des déplacements ou au bon déroulement de certaines activités. Dans le même ordre d’idée l’ouverture partielle de certaines pelouses est vécue comme une atteinte à la liberté d’occuper toutes les pelouses. C’est à la nature de s’adapter aux besoins de l’homme.

Le sol n’est donc pas encore perçu, connu, comme une ressource naturelle à partir de laquelle pourraient se structurer des représentations et des pratiques adaptées aux contraintes d’une gestion durable.

 

La gestion durable de la ressource sol

On peut à ce stade considérer que la ressource sol, dans les espaces naturels, a sans aucun doute, une fonction écologique (support d’une biodiversité) à laquelle on peut ajouter une fonction sociale (support d’aménités et d’usages bienfaisants). C’est un peu trop court pour fonder une véritable gestion durable.

Aborder le sol minéral et végétal des espaces naturels comme une ressource qui assure des fonctions agronomiques et sociétales, ne permet pas de garantir une gestion durable.

Notre recherche a toutefois permis de constater une évolution salutaire dans les modes de gestion des espaces naturels sous la pression de trois facteurs :

  • les injonctions variées tendant à généraliser des pratiques vertueuses ;
  • une sensibilité grandissante des usagers aux questions environnementales ;
  • la nécessité de réduire le temps de main d’œuvre par une gestion humaine appropriée, moins chronophage.

Dans le prolongement de cette situation on peut donc présenter ainsi les conditions à remplir pouvant permettre la mise en place d’un mode de gestion durable des espaces naturels :

  • considérer les sols-supports comme une ressource naturelle vulnérable, non renouvelable ;
  • identifier l’espace naturel urbain comme une réserve de biodiversité, témoin d’un milieu complexe et diversifié ;
  • en organiser une fréquentation régulière pour en garantir la multifonctionnalité ;
  • assimiler la gestion des espaces naturels à une véritable mission de service public.

Cette dernière condition implique, non seulement une équivalence entre valeur agronomique et valeur d’usage, mais aussi que les deux réunies s’équilibrent avec une valeur à laquelle ne peuvent échapper les sols-supports des espaces naturels urbains : leur valeur immobilière.

Il n’y a plus de gestion durable des sols à envisager lorsque leurs valeurs agronomiques et d’usage sont menacées par des perspectives de profits représentés par leur potentiel financier.

 

La réglementation applicable

Revenons à notre questionnement initial : faute d’élargir la nature des sols-supports des espaces naturels urbains à des valeurs autres qu’agronomiques, ils resteront inévitablement sous la menace de stratégies d’urbanisation. Sans doute des usages variés peuvent en prolonger l’existence, mais seule la mise en œuvre d’une gestion durable, garantie par une réglementation appropriée, peut assurer le devenir de ces espaces.

…jusqu’au parc urbain.
© Jean-Louis Yengue

Or si le sol est assimilé dans les espaces agricoles et forestiers à un patrimoine protégé, ou à tout le moins à un outil de travail, la reconnaissance des fonctions collectives des sols urbains nécessite une construction politique et juridique ambitieuse et courageuse qui va se heurter aux exigences liées à la maîtrise de l’étalement urbain.

Dans cette situation, les sols-supports des espaces naturels sont les plus vulnérables en ce que leur volatilité, leur évolutivité en terme de changements d’usage encouragent la spéculation foncière. Rien n’est plus simple que de remblayer une zone humide en bord de Cher pour réaliser à terme une Zone d’aménagement concertée (ZAC) ; qui saura d’ailleurs fort judicieusement réserver des emplacements dédiés à de futurs EV au milieu des constructions. En son temps, l’Union européenne, avait envisagé 3 un  projet  de  directive  cadre «pour la protection des sols ». Ce projet imposait aux États membres d’assumer une responsabilité environnementale, de décontaminer les sols affectés et d’harmoniser entre les pays une garantie financière. Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Autriche, s’y opposèrent. La France s’était abstenue. Ce projet a traîné des années avant d’être définitivement abandonné le 23 mai 2014, officiellement en raison des difficultés de faire appliquer le principe de subsidiarité, (c’est-à-dire le degré de dérogation acceptable par pays)…

Faute donc d’un statut protecteur des sols à l’échelle de l’Europe, faute également d’une législation française des sols comparable à celle qui existe sur l’air et sur l’eau, il faut alors tenter de construire et de proposer un cadre réglementaire approprié à une gestion durable. À partir de ces remarques, deux conceptions des sols peuvent être proposées :

  • Le sol est un milieu, organisé, complexe, évolutif. Il est une matière vivante, clé pour notre environnement, c’est un écosystème : c’est le sol-physique.
  • Le sol représente le patrimoine commun de la Nation et à ce titre constitue le support-espace disponible pour toute stratégie d’aménagement du territoire, c’est une réserve foncière : c’est le sol-surface.

Cette ambivalence ne signifie pas pour autant antagonisme, mais peut au contraire déboucher sur une complémentarité. À l’ancestrale opposition entre sol-ressource naturelle et sol-réserve foncière potentielle, il est plus pertinent de rechercher, dans une démarche relevant du pragmatisme environnemental, des indicateurs transversaux communs à cette double nature des sols-supports des espaces naturels. Les analyses croisées des espaces retenus ont permis de dégager les caractéristiques suivantes pour qu’un espace soit de qualité :

  • Une superficie adaptée aux populations (revenus, âges, CSP) qui le fréquentent en rapport avec le gradient urbain.
  • Une mesure des indicateurs de durabilité de la biodiversité, tant sur le plan des pratiques vertueuses d’entretien (% de pro-duits phytosanitaires utilisés, nombre de tontes dans l’année, volumes de compostage), que par la présence significative de populations animales telles que les micro-mammifères, les insectes, araignées, vers de terre (disparition ou réintroduction).
  • Une situation géographique de pôle d’équilibre en cohérence avec l’histoire du territoire urbain, la construction de la ville et ses perspectives de développement (il s’agit de mettre en évidence l’ancienneté de l’espace naturel, son importance dans la mémoire collective, sa fonction dans la ville, et surtout sa place dans le phénomène d’identification du territoire urbain).
  • Une valeur paysagère, immédiatement perceptible générant des ambiances diversifiées, correspondant à la mise en valeur des moments choisis (nuits d’été, festival d’automne etc.) ou de lieux valorisés (fêtes de quartier, animations dans la ville). Ces moments-là confortent les espaces naturels comme lieu de convivialité, de sociabilité, et d’échanges.

La gestion durable d’un espace naturel de qualité va donc dépendre de l’efficacité des mécanismes réglementaires de préservation des ressources territoriales.

 

Un nouvel outil : le coefficient de biodiversité

Ces indicateurs (superficie, populations, biodiversité, gradient urbains, localisation, paysage etc.) peuvent permettre l’identification d’un espace naturel de qualité sans opposer le sol-espace au sol physique. Le sol des EV devient alors plus banalement une ressource territoriale.

Il est alors nécessaire d’assurer une protection réglementaire à cette ressource territoriale. Que mettre dans ce cadre réglementaire ? Sans doute pas la procédure lourde qui consiste à classer un espace naturel en site naturel. Cette sanctuarisation est contradictoire avec leur nature évolutive. La réponse est sans doute à trouver dans une règle d’urbanisme, pas forcément correspondant au DOO d’un SCOT mais plus banalement dans le règlement de zonage d’un PLU.

En plaçant enfin au cœur du dispositif réglementaire des PLU la protection de la biodiversité, le législateur a, dans la loi du 24 mars 2014, véritablement créé les conditions d’une préservation durable des espaces naturels dans les aires urbaines.

En effet, en offrant aux acteurs locaux, la possibilité de fixer dans le règlement du PLU un coefficient de biotope (le coefficient de biotope est un ratio entre la sur-face réservée à la nature et la surface d’une parcelle construite ou constructible), la loi de 2014, rend possible, tout à la fois, de préserver les espaces naturels existants, mais aussi de les intégrer dans un projet urbain sous réserve de compenser leur disparition par la conquête de nouvelles surfaces naturelles au détriment des sols déjà artificialisés.

Certaines communes urbaines, dans leur PLU, ont déjà mis en œuvre une obligation (comme l’agglomération orléanaise par exemple) de maintenir des surfaces naturelles, ou en cas d’urbanisation nécessaire, de les compenser par une reconquête de nouvelles surfaces naturelles au détriment de sols artificialisés. Cependant, toutes les surfaces naturelles n’ont pas la même richesse, en termes de biodiversité. Un espace naturel sur dalle, n’a pas la même valeur agronomique qu’un espace naturel sur pleine terre. Il faut donc envisager un coefficient correcteur entre les différentes situations touchant aux espaces naturels.

À titre d’exemple, la ville de Berlin en Allemagne a, depuis une dizaine d’années, et dans le but de réintroduire la nature dans les quartiers très urbanisés, mis en place un Coefficient de biotope par surface (CBS). Ce CBS défini par le département d’urbanisme de la ville indique la proportion minimale de superficie d’espace naturel à conserver ou à conquérir pour une par-celle urbanisable (ce qui ne veut pas dire constructible).

Toutefois la valeur écologique d’une superficie d’espace naturel n’est pas la même pour tous. Ainsi, si les EV en pleine terre ont une valeur de 1, ceux qui existent sur dalle n’ont qu’une valeur de 0,7. Un mur végétalisé correspondra à une valeur de 0,5 alors qu’une toiture plantée bénéficiera d’une valeur de 0,7. Un mur et une toiture sont à légal du sol assimilés à un support de biodiversité mais avec une valeur moindre. Au final lorsqu’une superficie d’un ha (10 000 m²) est affectée d’un CBS de 0,5, il sera possible de bâtir 5 000 m², et 5 000 m² devront correspondre à un support de bio-tope.

Ces 5 000 m² peuvent se trouver dans la combinaison suivante :

  • 2 000 m² d’espace naturel en pleine terre = 2 000 m² ;
  • 1 000 m²  de  toitures  végétalisées  = 700 m² ;
  • 2 500 m² sur dalle = 1 750 m² ;
  • 1 200 m² de murs végétalisés = 600 m². Au total, grâce au CBS, et de manière différenciée, 5 050 m² seront consacrés à Ber-lin au maintien de la biodiversité.

C’est dans cette logique, à la fois quantitative et dans le respect de la diversité bio-logique, que les acteurs locaux en France peuvent désormais imposer dans leur PLU et pour certains secteurs, un coefficient de biotope s’inspirant du mode de calcul pratiqué en Allemagne…

Deux réserves doivent cependant être formulées pour relativiser les effets positifs de ces coefficients de biotope.

  • Les critères de fixation du coefficient de biotope ne sont pas simples (quels supports intégrer ? quelle valeur retenir ? et dans quels quartiers ?) et peuvent rebu-ter plus d’un élu, mais c’est vrai pour de nombreux mécanismes en droit de l’urbanisme (c’était le cas auparavant pour le COS).
  • L’évolution dans le temps de certains types de surfaces, supports de biodiversité ne garantit pas une véritable continuité écologique.

Les critères d’excellence préalablement énumérés peuvent être utilement mobilisés pour reconnaître un espace naturel de qua-lité et permettre de dépasser l’antagonisme stérile entre sol-épaisseur et sol-surface. Le sol support des espaces naturels devient alors une ressource territoriale dont les valeurs, agronomique et foncière, peuvent se combiner dans le temps et dans l’espace. C’est parce qu’ils ne sont plus uniquement identifiés à une ressource naturelle, mais qu’ils sont désormais assimilés à une ressource territoriale, que les sols-supports des espaces naturels urbains bénéficieront d’une protection plus efficace.

  • À la condition d’abandonner la quête d’une terre parfaite et donc d’admettre des potentialités agronomiques très différenciées.
  • À la condition que les espaces naturels respectent les indicateurs de qualité.
  • À la condition que les décideurs locaux fassent une priorité de la présence en ville d’une forme de nature, dans leurs choix d’urbanisation.
  • À la condition, enfin, que les espaces naturels, en tant que bien public offert à des usagers, appliquent les principes d’égalité (accès-jouissance), de continuité (refus de l’abandon, de la friche) et d’adaptabilité (aux besoins des usagers, aux exigences d’une urbanisation maîtrisée).

Les sols-supports des espaces naturels urbains peuvent être alors, en tant que ressource territoriale, pleinement intégrés à une stratégie de projet pour la ville. C’est l’assurance d’une gestion durable et donc d’une préservation de la nature en ville. C’est un enjeu de politique publique ; et pas seulement pour l’agglomération tourangelle !

 


Bibliographie

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  1. Voir le rapport final CESAT, « Vers une gestion durable des sols-supports des espaces verts : maintien et développement des fonctions et services. Exemples de l’agglomération tourangelle ».
  2. La question de l’identification et de la caractérisation des fonctions et des services rendus par la ressource sol des espaces naturels n’est pas aisée et les résultats tirés des observations réalisées doivent être présentés avec prudence.
  3. 2006/0086/COD.

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