La démarche « éviter, réduire, compenser » : Où en est-on ? Où allons-nous ?

À la suite de la publication au mois d’août de la loi sur la biodiversité, l’association Fonciers en débats a organisé en octobre une table ronde pour examiner les difficultés de mise en œuvre du principe des compensations environnementales. Ce texte, et d’autres qui suivront, s’inscrit dans cette discussion.

2000

Cet article fait suite à une table ronde animée par l’association Fonciers en débat le 6 octobre 2016 et vise à faire le point, de manière synthétique, sur l’évolution de la séquence ERC en France et les principales avancées de la loi bio-diversité sur le sujet.

En 1976, la France a introduit dans sa législation environnementale la séquence « éviter, réduire, compenser » (ERC). Elle fut un des premiers pays au monde à rendre obligatoire, pour tout projet d’aménagement, l’application des étapes de la séquence ERC. Qu’en est-il quarante ans plus tard ? Comment a évolué cette séquence tant dans ses principes que dans son application ?

L’année 2016 est à ce titre une année à la fois importante et symbolique, pour deux raisons principales. Tout d’abord, elle marque quatre décennies d’application de cette séquence visant à concevoir un projet ou un document de planification le moins impactant possible pour l’environnement. Ensuite, elle marque un tournant législatif important avec la promulgation, le 8 août dernier, de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (dite « loi biodiversité »). Cette loi apporte indéniablement des évolutions majeures en ce qui concerne la séquence ERC.

« Éviter, réduire, compenser » : de quoi s’agit-il ?

La séquence ERC s’applique dans son ordre d’énumération : il s’agit d’abord d’éviter au maximum les impacts d’un projet aménagement, puis de les réduire, et enfin de les compenser.


La loi du 10 juillet 1976 sur la protection de la nature

Art 2. « […] Les études préalables à la réalisation d’aménagements ou d’ouvrages qui, par l’importance de leurs dimensions ou leurs incidences sur le milieu naturel, peuvent porter atteinte à ce dernier, doivent comporter une étude d’impact permettant d’en apprécier les conséquences. »

C’est cet article qui indique que les modalités d’application sont précisées par un décret en Conseil d’État, fixant « le contenu de l’étude d’impact qui com-prend au minimum une analyse de l’état initial du site et de son environnement, l’étude des modifications que le projet y engendrerait et les mesures envisagées pour supprimer, réduire et, si possible, compenser les conséquences dommageables pour l’environnement. »


Le schéma présenté en figure 1 offre une description simplifiée de la séquence. Son application concrète se révèle toutefois bien plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord. Le point de départ est toujours le même : un projet ou un document de planification avec ses caractéristiques propres imaginées par un maître d’ouvrage en réponse à un besoin, une exigence réglementaire, une action de développement du territoire ou une initiative privée. Ces caractéristiques vont devoir être confrontées avec un état initial du milieu naturel, à la fois sur la zone d’implantation supposée du projet mais bien au-delà, sur sa zone d’influence potentielle. C’est ainsi qu’apparaît déjà la première difficulté qui est de déterminer l’aire initiale d’investigation, cette dernière n’étant jamais arbitraire et devant être évaluée au cas par cas en fonction des données biblio-graphiques existantes et des enjeux présents sur le territoire.

Une première liste « d’impacts potentiels bruts » résulte du croisement entre les caractéristiques du projet/du document de planification et l’état initial. Plusieurs catégories d’impacts doivent dès lors être considérées : les impacts directs et permanents sont les plus tangibles mais les impacts indirects (ceux qui découlent des impacts directs) et temporaires (ceux qui ne vont être présents que pendant la phase chantier par exemple) doivent également être analysés selon les mêmes exigences.

Éviter

C’est à partir de cette première liste d’impacts potentiels que commence véritablement la séquence traitée ; le maître d’ouvrage va chercher initialement à éviter les impacts, c’est-à-dire à les supprimer totalement. Plusieurs options s’offrent à lui : il peut en premier lieu s’interroger de nouveau sur son projet ou sur ce que permet son document de planification (en ai-je vraiment besoin ?, le dimensionne-ment envisagé est-il le bon ?, etc.), ce qui peut conduire à réévaluer les caractéristiques initialement envisagées. Il doit aussi rechercher des solutions alternatives en termes d’emplacement et de choix techniques.

La phase d’évitement, qui fait l’objet de très fortes attentes sociétales (voir plus loin), est délicate. Elle ne peut se concevoir au singulier.

« Évitements » devrait s’écrire au pluriel car le terme est identique pour désigner un évitement qui sera recherché très en amont, lorsque « tout est encore négociable » et que la solution finale n’est pas encore arrêtée et un évitement sur la solution retenue que l’on pourrait appréhender comme un évitement de proximité…

Puis réduire

Si un impact n’a pas pu être complètement évité, alors il faut chercher à en réduire sa portée, son ampleur, sa durée, son intensité, etc. par une mesure dite de réduction.

Techniquement, il n’y a pas forcément de différence bien marquée entre une mesure d’évitement et une mesure de réduction ; c’est l’efficacité de cette dernière vis-à-vis de l’objectif recherché qui permet de l’affecter dans l’une ou l’autre des catégories. Par exemple, une mesure très répandue de mise en défens d’une station d’une espèce végétale à enjeux est considérée comme une mesure d’évitement si la totalité de la population peut être préservée ; son efficacité est de 100 %. A contrario, si seule une partie de la population est préservée, la mesure est considérée comme de la réduction.

 

Figure 1 Représentation schématique de la séquence « éviter, réduire, compenser »
Source : S. Hubert.

A l’issue de ces deux phases d’évitement puis de réduction, la liste des impacts bruts potentiels doit impérativement être requalifiée en une liste d’impacts résiduels qui intègre l’efficacité des mesures d’évitement puis de réduction pré-identifiées. Les impacts résiduels doivent alors être qualifiés et quantifiés de façon précise.

Pour être efficaces, les phases d’évitement puis de réduction ne peuvent être considérées comme des phases linéaires dans la conception du projet ou du document de planification. Elles doivent s’y intégrer de façon itérative et le plus en amont possible. Dans la pratique, de très nombreux allers-retours entre impacts potentiels bruts et impacts résiduels seront nécessaires pour donner naissance à la solution ayant le moins d’impact sur l’environnement.

Puis compenser…

Une fois les impacts résiduels qualifiés et quantifiés, il est nécessaire d’évaluer leur significativité. Classiquement, dans les expertises environnementales, ce sont les impacts dits « significatifs » qui vont déclencher la conception de mesures compensatoires. Les mesures compensatoires ont pour objectif de contrebalancer ces pertes significatives engendrées par le projet (besoin de compensation) en générant des gains équivalents (réponse de compensation) dans le respect de l’équivalence écologique.

…dans le contexte de l’évaluation environnementale

La plus grosse des difficultés à laquelle est confronté le maître d’ouvrage est la prise en compte de toutes les dimensions de l’environnement, les milieux naturels n’étant que l’une d’elles. Ainsi éviter un impact sur une espèce à enjeux en déplaçant par exemple l’implantation initiale d’un projet est susceptible de générer des conséquences importantes sur une autre composante, comme par exemple l’exposition des populations voisines au bruit. Tout l’art consiste alors à hiérarchiser les enjeux, les impacts prévisionnels et les différentes composantes de l’environnement : qualité de l’air, bruits, milieux naturels, paysages, etc. De la même manière, si on s’intéresse uniquement à la composante « milieu naturel », alors l’évitement devra également faire des choix entre certains types d’habitats, certaines espèces ou certaines fonctionnalités.

C’est l’évaluation environnementale qui permet de faire la synthèse de ces réflexions et qui justifie au final la solution retenue par le maître d’ouvrage. Dans notre cadre réglementaire, plusieurs autorisations sont souvent nécessaires à l’autorisation d’un projet. Aussi au stade des autorisations dites spécifiques (ex : autorisations au titre de la loi sur l’eau ou dérogations « espèces protégées »), la mémoire des éléments de l’évaluation environnementale réalisée dans le cadre de l’étude d’impact est régulièrement perdue, ce qui ne permet plus de poser un regard objectif sur la solution retenue au final.

 

1976-2016 : quel bilan environnemental ?

L’introduction de la séquence ERC dans la loi sur la protection de la nature en 1976 fut une avancée importante du droit environne-mental dans la mesure où elle place le principe pollueur-payeur au cœur des problématiques d’aménagement de l’espace. Dès lors, les études d’impact doivent comprendre « au minimum une analyse de l’état initial du site et de son environnement, l’étude des modifications que le projet y engendrerait et les mesures envisagées pour supprimer, réduire et, si possible, compenser les conséquences dommageables pour l’environnement » (article 2). La séquence ERC a progressivement conduit à une plus grande vigilance des porteurs de pro-jets quant à leurs impacts sur l’environnement et la biodiversité (en particulier au cours de la dernière décennie – Regnery et al., 2013). Elle a conduit à limiter les impacts d’aménagement sur la biodiversité, au moins sur un plan qualitatif, en limitant les impacts sur la biodiversité rare ou menacée.

Cependant, l’objectif de la séquence ERC n’est pas seulement de limiter ou ralentir les impacts sur la biodiversité, mais bien de les enrayer. Il s’agit de permettre la poursuite d’un aménagement des territoires selon un modèle gagnant-gagnant entre le développement économique et la préservation de la biodiversité. Cela suppose un développement sans perte supplémentaire de biodiversité. Où en sommes-nous de cet objectif en France? Quel est le bilan environnemental après quatre décennies d’utilisation de la séquence ERC ?

Sans chercher à dresser une analyse exhaustive du sujet, il est possible de souligner au moins quatre limites qui ont réduit la portée et l’efficacité écologique de la séquence ERC.

Une première limite est que la séquence ERC n’a jusqu’à présent pas permis de stopper l’artificialisation des terres, ni même la ralentir de manière significative Au cours de la dernière décennie, alors qu’on observe une élévation des exigences en termes de qualité technique des dossiers de demande d’autorisation de pro-jets (études d’impacts, dossiers loi sur l’eau, etc.), le rythme d’artificialisation des terres reste toujours élevé. En effet, d’après l’enquête « Teruti-Lucas » du ministère de l’Agriculture, ce rythme d’artificialisation oscille autour de 55 000 hectares par an depuis 2008. S’il a légèrement diminué après un pic entre 2006 et 2008, c’est en raison de la crise économique qui avait alors impacté le secteur de la construction.

Une deuxième limite est que l’application de la séquence ERC n’a pas fondamentalement conduit à un changement des habitudes de consommation d’espace. Un indicateur qui reflète nos habitudes de consommation d’espace est la surface de plancher. Or, les statistiques du ministère de l’Écologie (2012), indiquent que cette surface a fortement augmenté au cours des dernières décennies, passant de 24,6 m2 par personne en 1973 à 40,1 m2 en 2006.

Une troisième limite est que de nombreux projets continuent d’entraîner des impacts non compensables, soit parce que les impacts ne peuvent pas être compensés sur le plan écologique (ex : conditions écologiques technique-ment impossibles à reconstituer), soit parce que le maître d’ouvrage rencontre des difficultés de tous ordres dans le déploiement des mesures compensatoires. Sur le plan écologique, il s’agit notamment de projets impactant des bocages anciens, des zones humides multifonctionnelles ou des habitats d’espèces menacées très difficiles à restaurer. Par exemple en 2008, un projet en région Provence-Alpes-Côte d’Azur a engendré le défrichement de zones forestières anciennes et matures, qui hébergeaient une bio-diversité très riche (chauves-souris et insectes coléoptères saproxyliques notamment) (photo ci-contre). Les mesures compensatoires de ce projet, réparties sur différents secteurs fores-tiers, sont un moindre mal, mais elles ne permettront pas d’équilibrer les pertes écologiques compte tenu de la singularité et de l’ancienneté des zones impactées 1 .

Enfin, l’étape d’évitement est souvent négligée. Jusqu’à présent, de nombreux projets se sont portés prioritairement sur l’étape de « compensation » (pas toujours au regard des entités impactées d’ailleurs), en abordant de façon trop superficielle les phases d’évitement et de réduction. De manière récente, le nombre de publications et de colloques liés unique-ment à la compensation atteste d’ailleurs du tropisme collectif sur cette question. Pourtant, l’évitement des impacts demeure très souvent la solution qui offre la meilleure garantie de préservation de la biodiversité à long terme.

Ces différents points ne doivent toutefois pas cacher les évolutions récentes observées ces dernières années dans les politiques publiques. Ces évolutions sont présentées et discutées dans les parties qui suivent.

Installation d’un projet industriel sur un ancien espace boisé.
© B. Regnery

L’après-Grenelle : doctrine nationale et lignes directrices

Les évolutions sont nombreuses et importantes depuis la période post-Grenelle de l’environnement et les deux lois qui en découlèrent en 2009 et 2010. En particulier, la « doctrine ERC » publiée par le ministère de l’Écologie en 2012, à laquelle ont succédé les « lignes directrices » en 2013. Ces deux documents de référence ont permis de s’accorder sur une application homogène de la séquence ERC et transversale aux différentes procédures existantes. L’élaboration de la doctrine a été suivie par un comité de pilotage (Copil) national alors que l’élaboration des lignes directrices a été suivie par un groupe de travail, émanation du Copil national. Les échanges nourris entre les différentes parties prenantes au sein de ces instances ont abouti à une clarification nécessaire des termes employés et principes mobilisés, à une mise en exergue de bonnes pratiques mais aussi à la mise en évidence de certains besoins complémentaires en termes de méthodologie. Les lignes directrices auront nécessité la réunion du groupe de travail à neuf reprises en 2011-2012.

La doctrine fait l’objet d’un document succinct (8 pages) dont les concepts sont déclinés au travers des 31 fiches des lignes directrices regroupées en fonction des différentes phases que sont la concertation, la préparation du dossier de demande, son instruction et enfin la mise en œuvre, le suivi et le contrôle. Deux fiches traitent spécifiquement des documents de planification. Chaque fiche est structurée de la même manière : des éléments de repérage (tels que l’étape du projet, le type de mesures concernées, le responsable de l’action et les partenaires éventuels), les objectifs visés par la fiche, le contexte réglementaire et les définitions associées, les éléments de doctrine nationale, des recommandations méthodologiques et des références complémentaires. Selon les cas des annexes mettant en évidence des bonnes pratiques ou des exemples d’application viennent les compléter.

Présentées comme des documents « de compromis » la doctrine et les lignes directrices ont vocation à évoluer selon les retours d’expériences et les évolutions réglementaires.


Les huit items de la doctrine

  1. Objectifs de la doctrine.
  2. Concevoir le projet de moindre impact pour l’environnement.
  3. Donner la priorité à l’évitement puis à la réduction.
  4. Assurer la cohérence et la complémentarité des mesures environne-mentales prises au titre de différentes procédures.
  5. Identifier et caractériser les impacts.
  6. Définir les mesures compensatoires.
  7. Pérenniser les effets des mesures de réduction et de compensation aussi longtemps que les impacts son présents.
  8. Fixer dans les autorisations les mesures à prendre, les objectifs de résultats et en suivre l’exécution et l’efficacité.

 

Figure 2 Illustration des concepts d’absence de perte nette et de gain de biodiversité Le gain de biodiversité ne sera possible que si les gains générés par les mesures compensatoires (représentés en vert) sont plus importants que les pertes correspondant à l’impact résiduel (représentées en rouge).
Sources : BBOP modifié.

Que retenir de la loi biodiversité du 8 août 2016 ?

A la suite du Grenelle de l’environnement, puis de la « doctrine » et des « lignes directrices nationales », c’est au tour de la loi biodiversité d’insuffler une évolution de la séquence ERC. La loi biodiversité a finalement été adoptée le 8 août 2016, à la suite d’un chemin parlementaire long et tortueux. Il aura fallu plus de deux ans, et de vifs débats, entre la présentation du pro-jet de loi par le gouvernement et son adoption définitive par l’Assemblée nationale. Cette loi précise certains concepts et présente quelques nouveautés en la matière (articles 69 et 70) sur lesquelles nous proposons de nous arrêter.

Introduction de l’objectif « d’absence de perte nette » et de l’obligation de résultat

L’article 69 stipule que « les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité visent un objectif d’absence de perte nette, voire de gain de biodiversité. Elles doivent se traduire par une obligation de résultats et être effectives pendant toute la durée des atteintes. Elles ne peuvent pas se substituer aux mesures d’évitement et de réduction. Si les atteintes liées au projet ne peuvent être ni évitées, ni réduites, ni compensées de façon satisfaisante, celui-ci n’est pas autorisé en l’état ». Ainsi, l’objectif de résultats qui était pointé par la doctrine (cf. supra) entre désormais dans le champ réglementaire, et devient une obligation de résultats.

L’objectif d’une absence de perte nette de biodiversité est extrêmement ambitieux. Pour l’atteindre, c’est l’ensemble des étapes de la séquence ERC qui doit être performant, et non seulement les mesures de réduction ou de compensation. L’étape d’évitement devient alors une pierre angulaire de la réussite car dans un contexte où la compensation est souvent limitée (disponibilité foncière limitée, coût de la compensation, etc.) et incertaine, l’étape d’évitement est un levier d’action majeur pour préserver la biodiversité. Bien que la loi n’apporte pas de cadre clair pour cette étape (méthodologie, moyens d’évaluation, contrôle), il est cependant urgent de promouvoir l’objectif d’évitement qui évite notamment les risques d’impacts non compensables.

L’atteinte de l’objectif d’absence de perte nette de biodiversité implique de se donner les moyens d’évaluer la performance environne-mentale de la séquence ERC. Pour cela, il faut pouvoir disposer d’informations écologiques claires, fiables et comparables entre elles, avant, pendant et après la vie des projets. La stratégie de collecte des données et de partage d’informations, notamment de la part des maîtres d’ouvrage, est au cœur des enjeux d’évaluation d’atteinte de cet objectif.

Généralisation des dispositifs d’offres de compensation

La loi biodiversité franchit une étape supplémentaire dans l’utilisation des dispositifs d’offre de compensation (dispositifs consistant à anticiper la réalisation de la compensation et à pro-poser ensuite des « unités de compensation » à des aménageurs soumis à des obligations réglementaires de compensation). En effet, alors qu’en 2008 une première offre de compensation a vu le jour en plaine de Crau (opération Cossure portée par CDC Biodiversité), suivie en 2015 par trois autres expérimentations labellisées par le ministère en charge de l’écologie, la loi biodiversité reconnaît désormais l’utilisation de la compensation par l’offre au même titre que la compensation par la demande. Sans nier les possibles intérêts écologiques de l’offre de compensation, cette décision soulève de nombreuses questions, dans la mesure où il existe un très faible recul sur l’application du dispositif dans le cadre français.

Comment s’articuleront les enjeux écologiques et les enjeux économiques dans le cadre de ces opérations d’offres de compensation ? Quelle sera la place de l’évitement et de la réduction si les sites naturels de compensation sont déjà à disposition des aménageurs ? Plus généralement : la France est-elle bien en capacité d’encadrer les offres de compensation, sachant que la majorité des dispositifs testés sont des expérimentations récentes (moins de deux ans) ? Le bon usage des offres de compensation dépendra en partie des règles et des organisations qui seront établies à la suite de la loi (notamment à travers le décret d’application en cours d’élaboration au moment de l’écriture de cet article).

Inventaire national de zones à fort potentiel de gains écologiques

L’article 70 confie à l’Agence française pour la biodiversité la réalisation d’un inventaire national afin « d’identifier les espaces naturels à fort potentiel de gain écologique appartenant à des personnes morales de droit public et les parcelles en l’état d’abandon, susceptibles d’être mobilisés pour mettre en œuvre des mesures de compensation ».

L’intérêt de ce type d’inventaire est double : il s’agit autant de favoriser l’anticipation et la mutualisation des mesures compensatoires que de faciliter les prospections foncières, susceptibles de contraindre le déroulement des projets.

Figure 3 Évolution observée des gains et pertes de sols artificialisés, agricoles et naturels (en milliers d’hectares)
Sources : SSP, Agreste, enquêtes Teruti-Lucas.

A ce stade de la réflexion, les modalités d’utilisation de cet inventaire national ne sont pas détaillées. Par la suite, il sera au préalable nécessaire de s’entendre sur la signification du terme « friche » et sur ce qui peut être considéré comme « en état d’abandon ». Alors que la doctrine nationale de 2012 demandait de privilégier les parcelles en état de friche pour implanter de nouveau projet, la loi bio-diversité semble vouloir orienter les mesures compensatoires sur ces mêmes milieux ; les friches sont-elles les nouveaux espaces sur les-quels doivent se concentrer les projets et leurs mesures compensatoires ? Ou les mesures compensatoires sur les friches ont-elles aussi vocation à compenser des impacts sur d’autres types de milieux ?

En théorie, selon le principe d’équivalence écologique (habitat pour habitat, espèce pour espèce) la compensation sur des friches ne serait possible que pour compenser des impacts sur des friches. Sur le plan écologique, il faut aussi préciser que les friches ne sauraient rendre possible la mise en œuvre de mesures compensatoires (par création ou restauration/ réhabilitation) de n’importe quel habitat, car les conditions édaphiques constituent un facteur déterminant du biotope et du fonctionnement de l’écosystème.

Autres/perspectives

Parmi les autres évolutions apportées par la loi, nous pourrions également citer la possibilité pour l’autorité administrative compétente d’ordonner des prescriptions complémentaires en cas de mesures compensatoires inopérantes, ou encore la possibilité pour l’autorité administrative de demander au maître d’ouvrage des garanties financières.

Les obligations réelles environnementales dont l’utilisation à des fins de compensation est explicitement mentionnée dans l’article 72 est une vraie nouveauté qui participera certaine-ment à la faisabilité d’une mesure compensatoire, en particulier lorsque le maître d’ouvrage envisagera de céder un terrain acquis à cette fin.

Enfin, l’obligation de partage d’informations géolocalisées sur les mesures compensatoires constitue une étape initiale indispensable à la mise en œuvre d’un véritable suivi et d’une incontournable capitalisation des expériences.

La loi biodiversité laisse entrevoir des avancées en termes d’application de la séquence ERC mais de nombreux champs demandent encore à être approfondis, tant sur le plan des méthodes que des modalités de mise en œuvre et de contrôle. Il en est par exemple ainsi des méthodes permettant d’évaluer l’équivalence qualitative et quantitative, des modes d’appréciation de la significativité des impacts ou des critères qui permettront de déterminer la plus-value créée au sein des unités de compensation dans le cadre d’un site naturel de compensation.


Sources documentaires en ligne

  • Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, 2015, « L’artificialisation des terres de 2006 à 2014 : pour deux tiers sur des espaces agricoles », Agreste Primeur 326, 1-6. http://agreste.agriculture.gouv.fr.
  • Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, 2012, « Doctrine relative à la séquence éviter, réduire et compenser les impacts sur le milieu naturel », http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/ Doctrine_ERC.pdf
  • Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, 2013, « Lignes directrices nationales sur la séquence éviter, réduire et compenser les impacts sur les milieux naturels », 232 p. http://www.developpement-durable. gouv.fr/Lignes-directrices-nationales-sur.html
  • Ministère de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement, 2012, « Urbanisation et consommation de l’espace, une question de mesure », La Revue du CGDD, 106 p.
  1. Pour plus de détail, voir Regnery, « Enjeux de mise en œuvre des mesures compensatoires: exemple du projet expérimental nucléaire ITER », in Levrel H., Frascaria-Lacoste N., Hay J., Martin G., Pioch S., Eds, Restaurer la nature pour atténuer les impacts du développement. Analyse des mesures compensatoires pour la biodiversité, Éditions Quae, Versailles, 2015, pp. 170-179.